Entre coups de coeur et coups de gueule, Bernard Hinault a marqué l'histoire du cyclisme, et tout particulièrement celle du Tour de France, prenant la succession d'Eddy Merckx au sommet de la hiérarchie mondiale. D'un point de vue purement statistique, le bilan du Breton dans la Grande Boucle est tout simplement exceptionnel: cinq victoires bien sûr, mais aussi sept podiums (Hinault a toujours terminé dans les deux premiers en sept participations), 28 victoires d'étapes, un maillot vert, un autre à pois...
Il a tout gagné, sur le Tour comme ailleurs. Mais il est impossible de résumer l'impact et l'apport de Bernard Hinault à ces seules statistiques. Le natif d'Yffiniac était avant tout un sacré personnage, entier, qui ne prenait jamais de détours pour dire ce qu'il avait sur le coeur, quitte à se créer certaines inimitiés, notamment avec la presse. Mais Hinault, en bon Breton, ne transigeait jamais avec ses principes, dans la vie ou sur un vélo.
Le renoncement le fait vomir
Le style Hinault peut se résumer en un seul mot: attaque. "Son plaisir était le KO", a déclaré un jour Cyrille Guimard qui l'a conduit pendant l'essentiel de sa carrière. A la façon d'un boxeur, Hinault, regard sombre et mâchoires serrées, passa à l'attaque sur tous les terrains du Tour, des pavés du Nord à un sprint massif gagné à Nogent-sur-Marne (1979), des âpres cols du Pays basque (1986) aux différents contre-la-montre, son domaine de prédilection. Sa rage de vaincre l'a toujours poussé vers l'avant, quitte à se brûler les ailes. Mais Hinault préférait terminer loin et à l'agonie plutôt que d'achever une course sans avoir tout essayé pour s'imposer.
"L'échec, c'est quelque chose qu'il ne supporte pas ", disait sa femme Martine à propos de celui qui hérita d'un surnom, le "Blaireau", un animal agressif et tenace. L'échec le rebutait, tout comme le renoncement, un mot qui le faisait vomir. Cette attitude agressive, dans le bon sens du terme, n'a jamais quitté Bernard Hinault sur le Tour de France. Ni dans ses moments de gloire, ni dans les périodes plus difficiles, comme ce Tour 1984, où il dut subir la loi de Fignon. "Il était plus fort, mais ça ne m'a pas empêché de lui rentrer dans la gueule", rappelle-t-il. C'est d'ailleurs en se montrant sublime dans la défaite qu'il gagna cette année-là la sympathie du public, davantage que par ses cinq victoires.
Un seul accroc
Vainqueur du Tour à quatre reprises entre 1978 et 1982, le plus souvent haut la main, Hinault ne connut qu'un accroc au cours de cette première période, celle de sa jeunesse triomphante. Son abandon dans les Pyrénées, au soir de l'étape de Pau en 1980, par la faute d'un genou récalcitrant différa de deux ans le premier de ses deux doublés Giro-Tour de France. Histoire "d'emmerder" les journalistes, le Blaireau avait pourtant organisé une conférence de presse quelques heures auparavant pour signifier qu'il poursuivait le Tour.
Ce fut sa seule fausse note. Car après son opération du genou qui le tint écarter de l'édition 1983, le plus grand cycliste français de l'histoire entra pour de bon dans la légende en devenant l'égal d'Anquetil et de Merckx avec une cinquième victoire en 1985. Il achève sa carrière en apothéose un an plus tard, en prenant la deuxième place d'un Tour qu'il donne le sentiment de pouvoir gagner, avant de s'effacer devant Greg Lemond. Hinault peut alors se retirer comme il était arrivé: en étant le plus fort.