RAYMOND DOMENECH, quel sentiment prédomine après cette qualification pour la finale de la Coupe du Monde ?
R.D. : C'est l'excitation de se dire qu'il y a une finale à jouer dimanche et que c'est contre l'Italie. On est tout de suite parti dans cette idée là. Il y a encore ce match à faire. C'est le plus beau parce que c'est le dernier. Alors qu'on n'était pas dans cet état d'esprit après le Brésil, on est déjà en projection parce que c'est une finale et parce que ce sera contre l'Italie.
Pourquoi jouer l'Italie représente quelque chose de particulier ?
R.D. : Pour moi, jouer l'Italie a toujours été un truc particulier. Il y a un sentiment d'admiration pour le talent de ces équipes là, pour leur mental, leur faculté à se battre en permanence. Se tester contre les Italiens, c'est toujours une vraie valeur. Ce ne sont jamais des matches anodins. Ce sont toujours des matches intéressants, il se passe toujours quelque chose. Pour moi, il y a une émotion. Peut-être que les joueurs ne la partagent pas mais il y en a tellement qui ont côtoyé ce championnat que tout le monde a envie de se tester contre l'Italie car ça reste une référence.
Les joueurs reconnaissent avoir été fatigués face au Portugal. Comme allez-vous préparer cette finale ?
R.D. : On était fatigué à la fin du match. Mais on le doit surtout aux Portugais qui nous ont posé beaucoup de problèmes et qui nous ont obligés à faire beaucoup d'efforts. C'est vrai qu'on était usé. Mais c'est un peu logique en demi-finale. Maintenant, l'objectif c'est de récupérer pendant ces trois jours mais sans recette particulière. Les joueurs sont fatigués mais la finale donne des ailes à tout le monde. Ce n'est pas une usure psychologique, c'est celle-là qui est la plus difficile à réparer. La fatigue physique, ça va. On récupère, surtout à cet âge là... même si on a quelques "vieux".
Votre travail est-il plus facile avec les victoires ?
R.D. : C'est plus facile pour moi, oui, parce que les entraînements aujourd'hui, c'est soins et récupération. Je me promène, je regarde, je fais le tour du terrain, je mets les chaussures juste histoire de dire que je les ai mises. Maintenant, c'est plus un travail de discussion, à part lors des préparations, les causeries et des séances vidéos. Sur le terrain, mon activité est très réduite. Ce n'est pas plus facile dans la mesure où il faut maintenir le cap et continuer à imposer une rigueur.
Avez-vous le temps d'apprécier cette qualification à sa juste valeur ?
R.D. : Ah non, je n'ai pas de recul du tout. Pour l'instant, je suis en plein dedans. On vient de se qualifier pour la finale. On a trois jours pour continuer à maintenir cette pression pour que l'équipe soit au mieux le jour de la finale. Pour moi, c'est le 7e match. On a fait les six premiers et il faut le gagner le 7e. On avance. A aucun moment je ne m'arrête pour regarder ce qu'on a fait. En trois jours, il faut continuer à mettre ça en place.
Vous aviez annoncé que vous vouliez gagner la Coupe du monde dès votre prise de fonction. Qu'est-ce qui vous rendait si sûr de vous ?
R.D. : D'abord, j'ai dit que je voulais arriver au 9 juillet pour pouvoir gagner. Ça n'est pas la même chose. Mais, pour moi, c'était une conviction profonde. Connaissant l'équipe, ce n'était même pas de la méthode Coué. Il y a des évidences. Pour moi, c'était évident. Ce n'était évident pour personne mais il fallait bien qu'il y en ait un avec une conviction. Et j'étais payé pour ça.
Aujourd'hui, êtes-vous fier d'avoir emmené la France en finale , comme vous le répétiez depuis des mois ?
R.D. : Oui, je le suis. Amener l'équipe de France là où elle est, créer ce qu'il y a autour de l'équipe en France, il y a une certaine fierté. Mais je suis déjà dans la finale. Pour moi l'objectif, ce n'est pas de participer. Coubertin, il y a longtemps que je l'ai rayé de mon vocabulaire. On joue pour gagner. Immédiatement, je me mets dans cette situation. C'est un vrai partage.
Y a-t-il un sentiment de revanche après toutes les critiques qui vous ont été adressés ?
R.D. : Non. Je comprends que depuis deux ans, tout ce que j'ai pu dire ou faire soit parfois incompréhensible. Quand on gère à long terme et que l'on critique à court terme, il y a forcément des divergences. Mais je n'en ai jamais voulu à qui que ce soit pour avoir dit que l'équipe que je mettais en place n'était pas la meilleure. C'est un avis. Je suis plus réservé sur les attaques personnelles sur mon entourage, sur moi et des trucs hors football qui n'avaient rien à voir dans la polémique. Je n'ai pas de revanche. J'ai fait ce qui me paraissait être le mieux pour que cette équipe de France fonctionne. Et je suis d'accord, parfois ça ne paraissait pas évident.
Il n'y a pas une certaine forme de jubilation d'avoir eu raison ?
R.D. : Non. Je ne me suis pas battu pour avoir raison. Quelqu'un d'autre aurait peut-être également réussi en faisant autrement. Il y a eu une manière de faire qui était la mienne, qui n'a pas emporté l'adhésion du public et des médias mais je n'y peux rien, c'est comme ça. Je n'ai pas plus de jubilation ou d'envie de revanche. Ce qui compte, c'est que l'équipe de France aille au bout, c'est-à-dire gagner. Après je pars en vacances. C'est tout. Chacun écrira ce qu'il a envie de dire.
Les Bleus ont une phrase : "On vit ensemble, on meurt ensemble" . D'où vient cette devise ?
R.D. : Elle vient de l'histoire des batailles quand les tribus se battaient entre elles. Ou elles pouvaient vivre, ou elles se faisaient bouffer par les autres. Que le joueurs l'aient adopté, c'est très symbolique de ce qu'on a vécu. Depuis très longtemps, avant la qualification pour la Coupe du monde, c'était ça. Ou on fait quelque chose ensemble ou on meurt très vite. On ne fait des matches à élimination depuis l'Irlande voire même avant. Ça doit faire une bonne quinzaine de matches où l'on vit comme ça avec le couteau sous la gorge. C'est la traduction en français de la chanson de 98. On veut continuer à vivre.
Quel regard portez-vous sur la génération qui a débuté sa carrière internationale à l'Euro 1996 (Thuram, Zidane, Barthez) ?
R.D. : Ils ont marqué leur époque. C'est évident. Mais on a aussi en mémoire la génération de 1986 de Platini qui avait marqué son époque. Il y a toujours ce record de buts en Coupe du monde avec Just Fontaine. Chaque génération apporte quelque chose. Les générations qui arrivent sont faites pour faire oublier celle d'avant. C'est leur but permanent. Celle-là fait oublier celle de Platini. J'espère que très vite, il y en aura une qui fera oublier celle-là.
Etes-vous fier d'offrir à Zinédine Zidane un dernier match lors d'une finale de Coupe du Monde ?
R.D. : Fier n'est pas le mot. Je suis heureux, pour lui et pour tous les autres car c'est un symbole. Heureux de savoir que, pour ces grands joueurs, ça ne s'est pas terminé en queue de poisson. Ça ne se sera pas terminé le jour de France-Grèce en 2004 dans le dépit ou dans l'oubli. Ça va se terminer par quelque chose de grandiose.