Eddy Merckx. Plus qu'un nom. Un mythe. M.E.R.C.K.X. Six lettres qui ont fait frémir tout autant que rêver. Un sportif de l'impossible, le plus fabuleux spécimen que le sport cycliste n'ait jamais offert, et comme il n'en livrera jamais plus. Les Indurain, les Armstrong, les Museeuw, bref les grands de ces dix dernières années, apparaissent comme des nains à côté du Belge. Ils sont les as d'un cyclisme standardisé, où chacun est appelé à remplir des tâches nobles mais restreintes: à toi le Tour, à moi Paris-Roubaix, à moi le Tour des Flandres, à lui le Giro.
Merckx, lui, courait tout. Et gagnait tout. Tout le temps, et partout. Dans sa carrière, il a remporté environ un tiers des courses qu'il a disputées! Comment appréhender aujourd'hui ce phénomène pour comprendre ce qu'il était? D'abord en fissurant la carapace derrière laquelle il s'est longtemps réfugié. Personnage méfiant, suspicieux, exagérément imperméable, Eddy donnait le sentiment d'avoir quitté le monde des humains pour rejoindre celui des machines.
Machine à gagner, en l'occurrence. Le plus souvent sans bonheur apparent. "Je suis payé pour gagner. Un point c'est tout ", ne cessait-il de répéter. Un peu par conviction, et sans doute aussi par provocation. Gagner, gagner, gagner, jusqu'à l'écoeurement. Pas le sien. Celui des autres. L'hégémonie d'un Indurain hier, ou d'un Armstrong aujourd'hui, sur le Tour de France, peut engendrer une certaine lassitude. Mais l'Ibère comme le Yankee ont toujours laissé un large terrain d'expression à leurs nombreux rivaux.
Psychose
Pas Merckx. Quand il se présentait au départ du Tour en juillet, le Belge avait la plupart du temps cinq ou six classiques à son actif, la quasi-totalité des courses par étapes, de Paris-Nice au Giro en passant par le Tour de Romandie. Au point que sa domination finit par mettre à mal la santé économique du cyclisme. Au plus fort de sa domination, les sponsors hésitèrent à investir. A quoi bon monter une équipe puisque Merckx est imbattable?
Le Cannibale, surnom trouvé par le coureur français Christian Raymond en 1970, a donc instauré au fil de sa carrière une véritable psychose au sein du peloton. Son écrasante supériorité lui a valu autant de haine, et le mot est bien pesé, que d'admiration. Deux sentiments souvent mêlés chez certains, car on ne pouvait s'empêcher de s'incliner devant ce champion hors du commun.
Pourquoi était-il aussi démesurément fort? Après tout, il n'est ni le meilleur grimpeur (parmi ceux qui soutiennent la comparaison avec lui, Coppi le supplantait dans ce domaine) ni le meilleur rouleur de l'histoire (Anquetil voire Indurain lui étaient sans doute globalement supérieurs dans ce domaine). Tous les médecins qui l'ont eu entre les mains témoignent qu'il n'est pas un monstre physiologique. Son principal avantage était avant tout d'ordre psychologique.
Ni machine ni cannibale
Merckx faisait la différence avec sa tête et avec ses tripes. Le Belge possédait une capacité de résistance à l'effort absolument unique. En course, capable de tout endurer, il ne connaissait ni douleur, ni souffrance, ni fatigue. Ou plutôt il les reléguait dans le gruppetto de son âme, pour continuer d'avancer. C'est sans doute pour cette raison que le grand Eddy s'apparentait à une implacable machine qu'il demeurait souvent à la descente de son vélo.
Mais ce personnage de pierre, impressionnante façade, masquait en fait un être d'une grande sensibilité, beaucoup plus humain qu'il n'y paraissait. S'il s'est renfermé de la sorte, c'est justement parce qu'il a dû endurer beaucoup, surtout à ses débuts. Comme ce contrôle antidopage sorti de nulle part sur le Giro 1969. Une trouvaille italienne pour le déclasser. Comme la mort brutale de son entraîneur, Fernand Wanbts, sur la piste de Blois, en 1969, lors d'une collision.
Ecartant tout autre forme de pensée de son esprit, Eddy Merckx n'a vécu que par et pour le cyclisme de ses débuts jusqu'à sa chute. Au point de sombrer dans une profonde déprime une fois revenu à la vie civile, avant de se relever après quelques déboires. Aujourd'hui, c'est encore lui qui donne la meilleure définition de ce qu'il fut. Et ce n'est pas celle d'une machine, ni même d'un cannibale. "Le véritable moteur de ma carrière a été le rêve, confie-t-il. Il était plus fort que moi, j'en étais l'esclave. La raison n'a plus eu sa place. N'est-ce pas merveilleux de pouvoir faire de sa passion son métier? Une vie sans passion est tellement vide de sens."
EDDY MERCKX DIGEST
Né le 17 juin 1945
Victoires: 5 (1969, 1970,1971,1972,1974)
Victoires d'étapes: 34
Jours en jaune: 111
Maillots vert: 3 (1969, 1971,1972)
Maillots à pois: 2 (1969, 1970)